Vous est-il déjà arrivé, une fois le livre refermé, de vouloir le relire immédiatement ? Qu’il s’agisse de littérature de jeunesse ou non, ce sentiment se traduit bien souvent lorsqu’un ouvrage me touche profondément, pour quelque raison que ce soit.
Parfois il fait référence à des souvenirs qui refont surface ou bien à des valeurs auxquelles j’accorde une grande importance.
Quoi qu’il en soit, lorsque j’arrive à la dernière page, il me faut toujours un petit temps, comme pour redescendre sur Terre après le moment hors du temps que je viens de passer en tête à tête avec l’auteur et les héros.
J’ai vécu ce sentiment très récemment à la première lecture de « Appartement à louer ». Depuis, nous l’avons déjà relu de nombreuses fois, mais pour autant, sa lecture pour mes loulous dégage toujours une émotion très particulière. Je crois que mes enfants le ressentent et ainsi, ensemble nous partageons un chouette moment autour de la lecture.
Les gens de la tour ont pris un panonceau, d’un clou sur la porte l’ont fixé et ont écrit de leur plus beau stylo « appartement à louer ».
La fourmi, la lapine, le cochon ou la pie ? qui tiendra compagnie à ces joyeux amis ?
Ce livre n’est pas commun. Déjà en ce qui concerne son format. Il est très haut et plutôt étroit. Il ne rentre donc pas dans les étagères de nos bibliothèques. Tant mieux : un livre exceptionnel mérite un format exceptionnel. D’emblée, la taille de l’album rappelle le lieu dans lequel se déroule l’histoire : une tour dont chaque étage est habité par un animal.
Comme dans tous les logements collectifs, chacun des habitants a un caractère et un style de vie particulier : dans l’appartement de la poule bien dodue on a l’impression d’un vrai capharnaüm, la femelle coucou est une globe-trotter, chez la chatte noire, tout est tiré à quatre épingles et chez l’écureuil il y a un stock tout à fait impressionnant de noix.
Ces 4 habitants-là vivent en harmonie les uns avec les autres. Ce qui va troubler leur quiétude, c’est le départ du cinquième locataire : Monsieur Souris. Il est donc temps de trouver quelqu’un pour le remplacer.
Tour-à-tour, 4 potentiels locataires viennent visiter le logement vacant. Ces quatre-là ne trouvent rien à redire à l’appartement en question. En revanche, ils sont gênés par le voisinage qui n’est pas assez comme ceci, trop comme cela…
-la fourmi se répugne du tour de hanche de la poule
– la lapine ne voit pas d’un bon oeil le fait que le coucou « abandonne » ses petits dans d’autres nids
– le cochon refuse de vivre à côté d’une chatte noire
– la pie ne veut absolument pas que sa tranquillité soit gênée par le bruit du casse-noix de l’écureuil.
Bien entendu, les réflexions des 4 visiteurs blessent tour à tour les habitants et à chaque fois, on leur demande alors de partir.
Jusqu’à l’arrivée de la colombe. La visite se passe différemment pour elle. L’oiseau trouve quelques défauts à l’appartement. Les 4 amis se disent, que cette-fois encore, ce ne sera pas la bonne personne. Mais ils sont surpris car la colombe, même si l’appartement n’est pas parfaitement à son goût, elle compte bel et bien le louer quand même pour profiter des voisins qu’elle trouve extraordinaires.
Pourquoi cet ouvrage m’a touchée ? Eh bien parce qu’il explique de manière très simple, certaines valeurs que je souhaite, du plus profond de mon coeur, inculquer à mes enfants : le respect d’autrui, l’altruisme, la bienveillance, la politesse et la paix.
Car nos quatre premiers visiteurs, eux, ne voient que le côté négatif de louer cet appartement et n’hésitent pas, de manière très discourtoise, à reprocher des faits qui n’auront de but que de blesser les autres habitants de la tour.
Cet ouvrage c’est aussi l’occasion de parler de notions telles que la grossophobie (l’hostilité envers les personnes en surpoids), le jugement sur l’éducation donnée par les autres (envers la femelle coucou), le racisme (vis-à-vis de la chatte noire), les différences de goûts (ici pour la musique…).
La colombe quant à elle perçoit immédiatement les qualités intrinsèques des habitants de la tour : la générosité de la poule, la singularité de la femelle coucou, la beauté de la chatte et le côté organisé de l’écureuil. Et l’on voit bien à travers les illustrations que le fait que la colombe complimente les habitants, met du baume au coeur à ces derniers.
Et finalement, en ne prenant en compte que les qualités de chacun et en laissant de côté le reste, tous les 5, colombe comprise donc, passent alors d’excellents moments tous ensemble.
Avez-vous vu les illustrations ? Elles sont éclatantes et prennent tout l’espace. Elles me font penser aux peintures de Gauguin, surtout celles qu’il a réalisées à la fin de sa vie. Sur la double page présentant les 4 habitants, chaque demi-page donne une idée de l’appartement de la poule, du coucou, de la chatte et de l’écureuil. Tous les détails aident à se faire une idée sur le caractère de chaque habitant : les sucreries de la poule gourmande, les livres, les drapeaux, le petit avion du coucou voyageur, l’espace épuré de la chatte raffinée, et les tas de paniers remplis de noix de l’écureuil organisé. Tous les quatre nous semblent sympathiques : le regard doux, le sourire aux lèvres.
Mais ce n’est pas le cas de la fourmi, du lièvre, du cochon et de la pie, dont le comportement, l’allure ne sont absolument pas agréables : la fourmi, les yeux froncés pointe un doigt et deux antennes accusateurs vers la poule, le lièvre aussi fronce les sourcils et de son index semble gronder et donner des leçons au coucou qui semble si triste, le cochon, la tête haute, les lèvres serrées et le regard méchant donne à voir une personne imbue d’elle-même et enfin la pie, représentée tournant le dos aux autres animaux est donc dans une posture de rejet, de fuite.
Quant à la colombe, son attitude tranche totalement avec les 4 prédécesseurs : elle est face aux quatre habitants, les yeux fermés, donc confiante, et surtout les ailes grand ouvertes signe d’accueil et de fraternité.
Il s’agit là, selon moi, d’un album où le texte, magnifique, puissant, vivant, n’aurait pas autant de force s’il n’était pas accompagné de ces illustrations qui complètent parfaitement les mots.
J’aime beaucoup les récits en randonnée où, au fil des péripéties, les actions se ressemblent et seuls quelques éléments changent pour donner l’intérêt à l’histoire.
Ce que j’ai trouvé aussi très étonnant c’est la modernité de l’histoire, pourtant écrit dans les années 1950 par une israëlienne : Lea Goldberg. La thématique de la fraternité tellement importante dans l’histoire de l’état israëlien à ce moment là de son histoire, prend également tout son sens à l’heure actuelle où les hommes ont tendance à se renfermer, s’isoler, critiquer, juger … Il est bon, non il est essentiel même, d’expliquer aux enfants que la bienveillance passe aussi par l’acceptation d’autrui, de ses différences et de ses défauts, parce que tout cela fait la richesse des hommes, la richesse de l’humanité.
J’espère vous avoir donné envie de le lire, pour ma part, cet album restera à portée de main et ça tombe bien, parce que mes enfants ne se lassent pas de cette lecture.
Ceci est ma cent-vingtième participation au rendez-vous Chut, les enfants lisent.
Merci aux éditions Albin Michel Jeunesse pour leur confiance ♥
Waouh, quelle claque cet album ! Je crois que ton article est aussi fort et aussi touchant que le livre. C’est beau, très beau. Merci pour cette formidable découverte, je vais me la noter de ce pas !
Ces livres qui veulent faire passer un message fort et qui y arrivent de manière magistrale, sont les plus beaux
Waouh mais quel chouette article sur ce joli livre
Ohh merci